Dossier : l’activité physique et le développement de l’enfant
Chez l’enfant, jeux et activités physiques favorisent le développement harmonieux des systèmes neuromoteurs et des grandes fonctions physiologiques et métaboliques. Ils permettent les premières conquêtes psychomotrices, les prémices du développement cérébral et cognitif, l’acquisition de l’autonomie et de la socialisation. Doté d’un appétit naturel pour une nourriture cinétique la plus riche possible, l’enfant doit trouver dans son environnement toutes les formes d’activités physiques nécessaires à son épanouissement. L’enseignant, bien sûr, mais aussi les parents, le pédiatre, le médecin, peuvent l’y aider.
Focus
Habituellement définie comme “ tout mouvement corporel produit par la contraction des muscles squelettiques entraînant une augmentation substantielle de la dépense d’énergie par rapport à la dépense de repos ”, l’activité physique de l’enfant ne doit pas être réduite à la seule sollicitation des effecteurs du mouvement.
Ce serait ignorer leur commande et leur régulation au cours de la croissance et du développement, et les multiples interférences de l’activité physique avec le développement psychomoteur et cognitif.
L’enfant, comme l’adolescent, a besoin de mouvements pour se construire. L’activité physique va lui permettre les premières conquêtes psychomotrices, intégrées à l’ensemble du développement cérébral et cognitif, avec pour buts l’acquisition de l’autonomie et de la socialisation du futur adulte qu’il deviendra. Ce développement progressif fait appel à un ensemble de phénomènes physiques, psychiques, moteurs et énergétiques.
Pour ce faire, l’organisme de l’enfant est capable de s’adapter à toutes les situations que lui offrent les activités physiques, voire sportives, nécessaires à son développement.
Maturation du système neuromusculaire
La prolifération dendritique, la multiplication des liaisons synaptiques et la myélinisation des axones caractérisent le développement du tissu nerveux au cours de la croissance et de la maturation. Si la prolifération dendritique s’effectue lors du développement embryologique, la myélinisation, plus progressive, s’opère pendant la petite enfance et l’enfance. Celle du cortex se fait pendant les premiers mois et premières années, alors que celle des axones des motoneurones (qui commandent l’activité musculaire à distance), se poursuit jusqu’à la période prépubertaire.
La multiplication des liaisons synaptiques et l’établissement de “circuits nerveux” confèrent au système de commande sa formidable “plasticité”. Ils dépendent fortement de la quantité et de la qualité des sollicitations neuromotrices rencontrées par l’enfant, qui est donc très tôt équipé pour développer sa neuromotricité fine. La motricité exigeant les mouvements les plus rapides, les plus précis et les plus spécialisés ne peut atteindre sa pleine efficacité que lorsque la maturation synaptique, la myélinisation des fibres nerveuses, les liaisons et les coordinations neuromusculaires auront atteint leur plein état de maturité, vers l’âge de 6 ou 7 ans (encadré 1).
Encadré 1. Ce que doit maîtriser, au plan moteur, un enfant de 6-7 ans :
L’exercice de sa motricité au quotidien, les jeux et l’éducation physique doivent permettre à l’enfant d’acquérir un bagage d’habiletés motrices (“programmes moteurs de base”) :
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sauter en avant, en arrière, sur les côtés, à l’extérieur et à l’intérieur d’une surface
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sauter à pieds joints et à cloche-pied en alternant pied droit et pied gauche
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courir en franchissant des obstacles et en changeant brusquement de direction
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lancer à “bras cassé” avec le membre inférieur placé de façon controlatérale
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attraper un ballon en décollant les coudes de la poitrine
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faire rebondir un ballon et commencer à dribbler avec les membres supérieurs
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donner un coup de pied dans un ballon
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ramper, se suspendre, esquiver, galoper, frapper, pousser, tirer, glisser, tourner, rouler sur le dos…
Ces programmes moteurs constituent les fondements indispensables à l’acquisition des automatismes requis par les techniques sportives. Ces dernières devraient naturellement prolonger la phase de développement de la psychomotricité dans la recherche de la construction d’une motricité épanouie.
Pour acquérir et maîtriser ces actions motrices de base, les rôles de l’environnement parental, de la crèche et de l’école maternelle apparaissent fondamentaux. Interviennent aussi le génotype et le niveau de maturation propre à chaque enfant, qui peuvent expliquer les différences interindividuelles habituellement constatées.
Six ans, l’âge d’entrée au cours préparatoire est aussi l’âge préparatoire au développement moteur futur : l’enfant devient de plus en plus capable de conceptualiser, de mémoriser, d’anticiper et de contrôler rétroactivement ses mouvements. Dès qu’est constitué le “programme moteur de base”, la formation uniquement psychomotrice doit progressivement laisser place aux apprentissages multiples.
Si l’enfant ne réussit pas dans un apprentissage, il est probable que ses structures nerveuses et/ou musculaires n’ont pas atteint le degré de maturation nécessaire. Dans ce cas, il est inutile de le faire commencer trop tôt. À l’opposé, la période favorable passée, il lui sera de plus en plus difficile d’apprendre.
Les apprentissages multiples et la pratique de nombreuses activités physiques entre 6 et 11 ans assurent à l’enfant un développement harmonieux et lui offrent le choix de sa future activité. À ce niveau, l’adulte devrait pouvoir l’aider à être le plus pertinent possible (encadré 2). Il serait dommage d’enfermer cette grande “plasticité neuromotrice” dans une spécialisation précoce. Même en vue de pratiquer une seule activité physique ou sportive, il convient d’ouvrir, le plus largement possible, l’éventail des apprentissages. Car, comme l’ont montré plusieurs études, un enfant motivé pour pratiquer une activité physique ou un sport aura probablement plus de chance d’éviter la sédentarité et toutes ses conséquences délétères à l’âge adulte !
Encadré 2 : Quelles activités sportives pour un enfant de 6-11 ans ?
Idéalement, pendant cette période privilégiée des apprentissages, l’enfant devrait pratiquer, en alternance, une activité sportive de chacune de ces trois catégories complémentaires :
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celles développant une maîtrise des coordinations motrices, voire du comportement en général : judo, tennis, gymnastique, danse, patinage artistique…
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celles demandant une dépense énergétique importante : natation, course, cyclisme, ski
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celles contribuant à une meilleure socialisation : sports d’équipe.
Croissance et activité physique
À partir de 6 ans, la pratique d’activités physiques contribue au bon développement et au renforcement du squelette, des muscles et des articulations. Par les tensions musculaires exercées sur l’os, l’exercice raisonnablement pratiqué accroît l’épaisseur, la densité et la résistance des os, sans aucun effet sur leur croissance en longueur.
Cependant, les charges excessives sur un système osseux, cartilagineux, ligamentaire et tendineux encore insuffisamment adapté aux tractions et pressions intenses, peuvent être préjudiciables à la santé de l’enfant. Les pratiques sportives extrêmes et les entraînements intenses et répétés qu’elles requièrent sont susceptibles de générer des stress psychologiques de compétitions et des microtraumatismes récurrents, qui, au même titre que des carences affectives et familiales, peuvent être à l’origine d’un blocage transitoire de la croissance en poids et en taille, dû aux perturbations des régulations neurohormonales induites au niveau hypothalamique et hypophysaire.
Système musculaire et activité physique
L’essentiel de la différenciation et de la distribution des fibres musculaires se réalise au cours de la gestation et jusqu’à deux ans après la naissance. Variant selon le type d’activité physique, les caractéristiques biochimiques des fibres évoluent en majorité dans le sens d’une augmentation de leur pouvoir oxydatif.
La masse musculaire représente 25 % du poids total à la naissance et près de 40 % à l’âge adulte. La majorité de ce gain survient à la puberté, et est favorisé par la pratique physique.
Au cours de la croissance, le nombre de myofibrilles, de myofilaments et de sarcomères augmente, ces derniers entraînant l’allongement des muscles. Ces développements peuvent être accélérés par la pratique régulière d’activités physiques.
Développement des capacités motrices
Les capacités motrices se développent surtout pendant les dix-huit premières années de la vie, même si, chez les filles, elles tendent à se stabiliser aux environs de la puberté. La force, la puissance, et la vitesse augmentent proportionnellement à la masse musculaire, elle-même sous la double dépendance des concentrations hormonales (principalement de l’hormone de croissance chez les garçons et les filles et de la testostérone chez les garçons) et du niveau d’activité. Ces qualités se développent donc de façon accélérée en période postpubertaire. La souplesse est, en revanche, une qualité naturelle de l’enfant prépubère.
La souplesse
L’enfant possède, dès le plus jeune âge, un niveau élevé de souplesse résultant d’une masse et d’un tonus musculaire peu élevés et d’une élasticité ligamentaire et musculaire importante. À l’exception des enfants qui pratiquent la gymnastique, la danse et toutes autres activités motrices de haute expression corporelle, un entraînement “poussé” de l’amplitude des articulations ne semble pas nécessaire avant 9-10 ans. Dans tous les cas, l’entraînement de la souplesse chez l’enfant doit être dirigé par des éducateurs sportifs compétents, bien formés et informés des limites à ne jamais dépasser. Il est, en revanche, particulièrement recommandé d’apprendre très tôt à l’enfant les techniques d’auto-étirement. Elles lui serviront toute sa vie car l’amplitude articulaire décroît très rapidement dès la puberté et doit être entretenue très régulièrement.
La vitesse gestuelle
La vitesse gestuelle correspond au nombre maximal de mouvements cycliques ou acycliques susceptibles d’être réalisés en un temps donné. Dans certaines activités, comme la natation, le cyclisme et la course sur courtes distances, la vitesse gestuelle entraîne une vitesse de déplacement. Elle se définit alors comme le temps minimal mis pour parcourir une distance donnée.
La vitesse gestuelle dépend de la conjonction de trois facteurs : nerveux, sous le contrôle du système nerveux central (SNC) ; neuromusculaire, à la jonction du système de commande (le SNC) et du système effecteur (le muscle) ; et de la qualité des muscles sollicités.
Avant l’âge de 10 ans, le niveau de vitesse gestuelle (moins élevé chez l’enfant que chez l’adulte) est très fortement lié à la maturation du système nerveux (myélinisation des axones), à la concentration plus faible de l’acétylcholine au niveau de la jonction neuromusculaire, à une vitesse moindre de libération et de repompage du calcium dans le réticulum sarcoplasmique, et enfin à la capacité de coordination des muscles sollicités.
Bien que limitée par les facteurs héréditaires, la vitesse peut être développée avant et pendant la puberté par des exercices et toutes formes de jeu. Il est donc parfaitement justifié d’envisager très tôt (vers 6 ans) l’augmentation de la vitesse car elle dépend étroitement mais aussi renforce la coordination nerveuse et le développement des programmes moteurs. La plus forte amélioration de la fréquence et de la vitesse de mouvement se manifeste dès le premier âge scolaire. Ensuite, l’augmentation des masses musculaires, de la taille des leviers et de l’amplitude biomécanique des mouvements, explique l’amélioration de la vitesse gestuelle.
La force musculaire
La force musculaire s’amplifie progressivement au cours de la croissance en fonction de l’augmentation de la masse corporelle. Avant la puberté, la force maximale des garçons et des filles reste assez proche.
En moyenne, l’accroissement en force des filles culmine pendant les années de croissance maximale (11,5 à 12,5 ans) et celui des garçons un an après le pic de croissance (14,5 à 15,5 ans). Ensuite, la force maximale se stabilise vers 18 ans chez la fille et entre 20 et 30 ans chez le garçon.
L’amélioration de l’activation nerveuse et l’augmentation de la masse musculaire (hypertrophie) expliquent principalement l’augmentation de la force. Avant la période pubertaire, c’est essentiellement l’amélioration de l’activation nerveuse qui est obtenue.
D’autres mécanismes d’importance moindre, comme l’amélioration de la restitution de l’énergie élastique, l’intensification du couplage excitationcontraction et l’amélioration de la transmission de la force aux différents leviers osseux, sont également impliqués.
Ce gain de force influence la capacité de performance motrice dans les activités sportives, et dans la prévention des blessures pendant ces activités. Par conséquent, doiton, ou non, envisager la musculation avant la puberté ?
À l’issue de programmes de musculation contrôlés expérimentalement, de nombreux travaux récents ont bien montré que des gains de force sont obtenus de façon très significative et sans préjudice pour la santé chez l’enfant prépubère.
À condition de respecter certaines précautions, et de le soumettre à un examen médical très attentif préalable, au cours d’un programme de musculation bien conduit, l’enfant prépubère est donc capable d’augmenter sa force musculaire dans les mêmes proportions que l’adulte.
Encadré 3 : Aptitude à la pratique sportive et certificat médical
Le certificat médical “d’aptitude” à la pratique sportive se justifie à partir de 7 ans, âge où débute la pratique sportive au sens propre. Il est délivré pour une saison sportive.
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Pour une pratique de loisir, le médecin délivrera selon les cas :
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un certificat médical de non-contre-indication (obligatoire pour une inscription dans un club)
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un certificat d’aptitude partielle, s’il existe des réserves
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un certificat d’inaptitude
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Pour une pratique sportive de haut niveau, le médecin classera l’enfant dans un des quatre groupes d’aptitudes définis par arrêté ministériel :
- groupe I : aptitude sans réserve, avec possibilité de bénéficier d’un surclassement
- groupe II : aptitude dans sa catégorie d’âge, avec des restrictions quant à la pratique de certaines activités
- groupe III : adaptation et orientation nécessaires du fait de l’existence d’un handicap
- groupe IV : inaptitude temporaire ou définitive
(d’après Dr M. Binder)
Encadré 4 : Extrapolation du coût énergétique moyen de différentes activités physiques ou sportives pratiquées par les enfants âgés de 6 à 12 ans.
Résultant d’une moins bonne économie gestuelle, le coût énergétique pour réaliser une activité physique quelconque est, chez l’enfant de 6 ans environ, 30% supérieur à celui de l’adulte. Il diminue, ensuite, de façon exponentielle pour atteindre, vers 17 ans, le même coût que celui de l’adulte.
En fonction de son poids et de la durée pendant laquelle l’enfant pratique différentes activités physiques, les données de cet encadré permettent de calculer ses dépenses énergétiques. Celle-ci doit être ajoutée au métabolisme de base pour connaître la dépense totale.
* Références de l’adulte : D’après McArdle, Katch et Katch (1987)
Conclusion
Jeux et activités physiques doivent être encouragés dans le cadre scolaire et en dehors, car l’école ne peut, seule, assurer à l’enfant toutes les activités nécessaires à son développement.
Ensemble “l’augmentation substantielle de la dépense d’énergie” recommandée par les autorités de santé publique, et la multiplication des expériences motrices nécessaires au développement psychomoteur, voire cognitif, de l’enfant, militent pour préconiser, au moins, une heure d’activité physique quotidienne, réalisée à des intensités les plus variées possible.
Pr Georges CAZORLA
Université Bordeaux 2.
Bibliographie
- Binder M. : Quel sport pour quel enfant ?, Éditions Marabout, Paris, 2005
- McArdle W.D., Katch F., Katch V. : Physiologie de l’activité physique : énergie, nutrition et performance, Éditions Vigot (3e éd.), Paris, 1987 ; 510 -14
- Molnar D., Livingstone B. : Physical activity and relation to overweight and obesity in chidren and adolescents, Eur J, Pediatr, 2000 ; 159 [suppl 1] : S45-S55
- Physical Activity and Health : A report from the Surgen General. Atlanta, GA : U.S. Department of Health and Human Services, Center for Disease Control and Prevention, National Center for Chronic Disease Prevention and Health Promotion, 1996