Dossier : Microbiote intestinal et obésité
Au cours de l’évolution, l’Homme a souvent disposé pour son alimentation de quantités de nourriture insuffisantes. Les individus qui survivaient aux périodes de disette avaient des moyens accrus de survie. A la période actuelle, caractérisée par l’accès à la nourriture de la majorité de la population aux Etats-Unis et en Europe, on observe simultanément dans ces pays une augmentation de l’obésité. Des chercheurs viennent de mettre en évidence un effet possible des bactéries commensales sur la régulation pondérale. Il est possible que la co-évolution de l’Homme et de son microbiote ait favorisé l’extraction maximale d’énergie d’une nourriture peu abondante. L’obésité actuelle pourrait aussi être en partie liée à cette symbiose “trop” efficace.
Focus
Le microbiote, anciennement dénommé “flore intestinale”, n’est pas distribué de façon homogène le long du tractus digestif humain. Sa présence est relativement discrète dans les deux premiers segments de l’intestin grêle où le transit est rapide. Elle augmente fortement dans l’iléon pour atteindre des niveaux de populations cent fois supérieurs dans le colon et le rectum. La “bonne santé” de l’Homme dépend de l’équilibre de ce microbiote qui le protège de l’ingestion de bactéries pathogènes et stimule le système immunitaire. Parmi les grands groupes bactériens du microbiote, l’équilibre entre Firmicutes et Bacteroidetes semble un facteur clé.
Diversité du microbiote humain
L’Homme vit en symbiose avec une importante population microbienne qui colonise son tractus digestif. Ces bactéries se nourrissent des résidus de son alimentation, de secrétions et de la desquamation des muqueuses digestives. Elles ont longtemps été considérées comme des sources potentielles d’effets néfastes voire de maladies. Elles ont même été qualifiées de “flore putréfiante”. On a ensuite soupçonné et récemment montré des effets bénéfiques du microbiote sur notre santé.
On estime que 70% des bactéries qui composent le microbiote humain ne sont pas cultivables par les techniques actuelles. Anaérobies strictes, elles ont des exigences inconnues en terme de conditions de culture. Pour caractériser ces populations, on a donc recours à des techniques ne nécessitant pas leurs cultures et fondées sur certaines séquences d’ADN.
Il semble que pour un seul individu, la diversité bactérienne du microbiote atteigne l’ordre d’un millier d’espèces. On remarque en outre qu’entre dix personnes différentes, on ne trouvera qu’une seule espèce commune. L’extrapolation aux individus qui peuplent la planète suggère une extraordinaire diversité du microbiote en terme d’espèces. On peut dire que chaque être humain est unique au regard du microbiote qui l’habite. Les espèces bactériennes peuvent être regroupées en genres puis en grands groupes (“phyla”). A ces niveaux globaux, on peut voir des similitudes dans les microbiotes humains. Le microbiote d’un homme adulte non obèse se caractérise, en simplifiant, par un ratio entre les phyla des Firmicutes et des Bacteroidetes de l’ordre de 10 pour 1. Ce rapport est différent chez les obèses, les enfants et les personnes âgées.
Microbiote et obésité chez la souris
L’équipe de Jeffrey Gordon (Washington University, USA) a publié, en 2004, la première mise en évidence de l’effet du microbiote sur la prise de poids, en utilisant des souris axéniques (sans microbiote).
Ces souris, prélevées stérilement in utero puis placées dans une enceinte stérile, sont nourries d’abord au lait de souris stérilisé puis avec un aliment solide également stérile. Les chercheurs ont constaté que les souris élevées de façon conventionnelle consommaient moins d’aliment que les souris axéniques et qu’elles avaient 60% de masse grasse supplémentaire. Ils ont ainsi observé que le microbiote résident participait à la prise de poids. Cette étude et les suivantes ont montré que les souris conventionnelles étaient capables grâce à leur microbiote de digérer au moins en partie les fibres alimentaires et d’en extraire plus d’énergie que les souris axéniques. De plus, le transfert du microbiote de souris conventionnelles à des souris axéniques conduit à une augmentation de leur masse grasse dans les deux semaines suivant l’inoculation. Un travail préalable de la même équipe avait montré que la présence du microbiote favorisait le développement du réseau sanguin autour de l’intestin (angiogenèse).
L’énergie extraite des résidus alimentaires serait donc plus facilement assimilée. Les auteurs ont également mis en évidence une autre action du microbiote sur l’hôte : sa présence réduit l’expression d’un gène dans les cellules de l’épithélium intestinal ce qui entraîne une augmentation de l’activité lipasique et un stockage des triglycérides dans les adipocytes. La présence du microbiote offre donc un avantage dans les cas de restrictions alimentaires.
Le travail suivant a porté sur des souris obèses dont le gène de la leptine (régulant la lipogenèse) a été inactivé. Ce type de déficience, rare chez l’homme, conduit aussi à l’obésité. Le ratio Firmicutes / Bacteroidetes de ces souris se révèle de l’ordre de 100/1 au lieu de 10/1 chez les mêmes souris non obèses, suggérant des microbiotes différents. Il a été aussi montré qu’on pouvait extraire moins d’énergie des contenus caecaux des souris obèses que de ceux des souris minces. La comparaison d’une partie des gènes du microbiote de ces deux lignées de souris montre que le microbiote des souris obèses est plus adapté à la digestion des fibres alimentaires. Les auteurs ont transféré les microbiotes des souris obèses et des souris minces à des souris axéniques receveuses : la prise de poids était plus importante chez les souris ayant reçu le microbiote des souris obèses.
On peut conclure de ces travaux que le microbiote de souris obèses se montre très efficace en terme de récupération d’énergie à partir des résidus alimentaires. Cette propriété est transférable à d’autres souris par le microbiote. Le ratio Firmicutes / Bacteroidetes peut être un marqueur de ce microbiote lié à l’obésité.
Microbiote et obésité chez l’Homme
L’équipe de J. Gordon a ensuite mené une étude sur des patients obèses soumis pendant un an à un régime pauvre en graisses ou en sucres. Les pertes de poids observées ont été de l’ordre de 20% et 10% respectivement selon les régimes. On observe une bonne corrélation entre la perte de poids et l’abondance des Bacteroidetes. L’analyse plus détaillée du microbiote montre une évolution du rapport Firmicutes / Bacteroidetes au cours du régime : celui-ci, initialement de 95/5, devient après un an de régime proche de celui des individus “minces”, à savoir 70/30. Les auteurs mentionnent que ce rapport change à partir d’une perte de poids de l’ordre de 6% avec les régimes pauvres en graisses et de 2% avec les régimes pauvres en sucres. La comparaison au cours du temps des microbiotes de ces patients montre une “parenté” entre les prélèvements d’un même individu. Ceci suggère que la nature “unique” et “individu-spécifique” de chaque microbiote ne change pas mais que l’équilibre propre au sujet est modifié lors de la perte de poids.
Sur la base de cet essai chez l’Homme, on ne peut pas dire si la modification du rapport Firmicutes / Bacteroidetes est une cause ou une conséquence de la perte de poids. Il est possible que les résidus alimentaires disponibles pour le microbiote modifient cet équilibre. Toutefois, les travaux chez les souris mentionnés précédemment suggèrent un rapport de causalité. Il serait tentant de rechercher des conditions susceptibles de changer ce rapport et de déterminer son influence sur l’obésité humaine.
Nous-mêmes avons observé une modification de ce rapport dans des conditions pathologiques en étudiant les modifications de l’équilibre du microbiote dans des cas de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) telles que la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. Le rapport Firmicutes / Bacteroidetes s’établit à un niveau de l’ordre de 1/1 à 3/1 au lieu d’environ 10/1 chez le sujet sain.
Principales fonctions du microbiote humain
- Le microbiote digère à son profit les résidus en transit dans le colon. La conséquence la plus spectaculaire est la production de gaz (flatulences) mais il produit aussi de nombreux métabolites assimilables par la muqueuse digestive et il peut dégrader certains résidus alimentaires nocifs pour l’homme.
- Les populations bactériennes résidentes “s’opposent” à la colonisation par des bactéries pathogènes et d’autres bactéries en transit avec l’alimentation.Un traitement inapproprié par des antibiotiques peut ainsi perturber les équilibres du microbiote et favoriser l’implantation de bactéries pathogènes.
- Le microbiote joue un rôle majeur dans la stimulation permanente du système immunitaire. Cet équilibre dynamique est perturbé au cours de certaines maladies inflammatoires intestinales.
- Le microbiote joue un rôle dans la prise de poids et l’obésité.
Comment le microbiote peut jouer sur l’obésité
D’après les travaux menés avec des souris à microbiote contrôlé, il semble que la présence d’unmicrobiote :
- favorise la vascularisation entourant l’intestin grêle (angiogenèse)
- permette une meilleure digestion des résidus alimentaires
- stimule l’assimilation des lipides.
Le microbiote de souris obèses semble plus efficace que celui des souris minces dans la récupération d’énergie. L’équilibre entre les populations bactériennes est différent entre les microbiotes “obèses” et “minces”.
Conclusion
Chez la souris des études montrent clairement qu’une modification du microbiote, et notamment du rapport Firmicutes / Bacteroidetes, influe sur la prise de poids. Chez l’Homme, lors de la perte de poids consécutive à des changements de régimes alimentaires, ce rapport se modifie dans le même sens que celui observé chez les souris ; ce qui suggère une relation entre l’équilibre du microbiote humain et l’obésité. Dans des cas de MICI, la perte d’une sous-population de Firmicutes parait être liée à la pathologie, soulignant une fois de plus la nécessité de préserver un équilibre au sein du microbiote. L’ensemble de ces travaux indique que le microbiote intestinal doit être pris en compte dans la gestion de cette “épidémie globale” qu’est l’obésité humaine au niveau mondial. Une nouvelle piste semble ainsi poindre dans la recherche sur l’obésité, qui ne serait plus seulement due à la génétique et aux comportements.
Dr Gérard CORTHIER
Unité Ecologie et Physiologie Système Digestif,
INRA, Jouy en Josas
Bibliographie
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